Qand Beur-fm cloue le bec aux Kabyles.

Publié le par umerri

 

 

 

 

 

 

Depuis la rentrée 2002, les auditeurs kabyles sont orphelins de leurs animateurs phares. Fini les génériques rebelles de " kker a mmis u mazir " et de " takwemt n tegrawla ".

Fini la subversion berbériste et les interminables débats autour de la Kabylie. Fini les joies de la découverte et du savoir.

 

 

Cette triste fin commence avec le renvoi de Moh Cherbi et l'arrêt de son émission hebdomadaire Culturum… « Annar g-gedles » au mois de septembre. Ecoutée par des dizaines de milliers d'auditeurs, cette dernière mettait en lumière toute la création artistique et littéraire kabyle. Espace d'information et de formation, elle se distinguait par la qualité des invités et des sujets abordés. Cultivant un esprit authentiquement kabyle, Culturum… « Annar g-gedles » s'est imposée au sein des foyers kabyles. Curieusement, l'éviction de Moh Cherbi n'a donné lieu à aucune explication de la part de la direction de la radio.

 

 

Source d'innombrables interrogations, cette décision suscite l'indignation des auditeurs kabyles auxquels, désormais, il ne reste pour seul espace d'expression que l'émission « Azul » d'Aomar du samedi après-midi. Submergé d'appels par ces derniers, cet animateur leur ouvre les ondes pour qu'ils fassent entendre leur mécontentement. Témoignant son soutien à son confrère Moh Cherbi, Aomar approuve ouvertement les doléances de ses auditeurs. Un comportement qui n'est pas sans déplaire. La réaction de la rédaction ne s'est pas faite attendre.

 

 

En décembre 2002, Aomar Azul est exclu à son tour. Il est aussitôt remplacé par Hafida, une animatrice méconnue du public kabyle. Inexpérimentée, la remplaçante d'Aomar peine à trouver ses mots. Dans un kabyle souvent approximatif, elle révise la ligne éditoriale de l'émission précédente à la baisse en la vidant de son caractère engagé et en la réduisant à un simple intermède musical sans âme. Loin de faire l'unanimité, cette reprogrammation suscite au contraire la désaffection de l'auditoire kabyle.

 

 

 Ce changement de cap vertigineux de Beur FM n'est sans doute pas étranger à l'" Année de l'Algérie " dont la radio est officiellement partenaire. Pour redorer le blason du régime algérien, il fallait se débarrasser des éléments gênants. Comme bon nombre d'associations et d'artistes kabyles avaient appelé au boycott de l'événement, les animateurs kabyles devaient fatalement faire les frais, quitte à laisser sur le carreau des milliers d'auditeurs. Le résultat de cette purge est une révision à la baisse des programmes en kabyle.

 

 

A ce jour, on ne compte pas plus de cinq heures d'émission hebdomadaire dans cette langue. En surfant sur le site web de Beur FM, on tombe malencontreusement sur la page de l'émission Rencontres berbères, qui était animée par le même Aomar le vendredi soir, avant qu'elle ne soit elle aussi supprimée. Un message risible indique : " Rendez-vous très prochainement ". Controversée au sein même de la radio, l'" Année de l'Algérie " suscite des remous internes. A l'insu de la direction de Beur FM, Saïd Yahia Chérif, le chroniqueur de l'émission Sucré Salé, fustige cet événement, appelant à son boycott, sur les ondes mêmes de la radio. Mal venue, la prise de position de Saïd Yahia Cherif suscite aussitôt la réaction de la direction.

 Le patron de la chaîne en personne, Nacer Kettane, improvise une émission spéciale en compagnie du journaliste Naït Balk, et du chroniqueur incriminé Saïd Yahia Chérif. Nacer Kettane prend la parole en direct pour amener Saïd Yahia Cherif à s'excuser d'avoir agi de la sorte, affirmant que sa radio était partenaire à part entière de l' "Année de l'Algérie". Sans concession, le directeur de Beur FM précise qu'il ne permettrait pas de tels dérapages.

 

 

_Quand le Printemps Noir de Kabylie sème la zizanie sur les ondes

Depuis le Printemps Noir, les animateurs kabyles se sentaient contraints de bannir le mot "Kabylie" de leur vocabulaire. Quant aux animateurs arabes, ils s'évertuaient à donner une envergure nationale à l'événement. Tous les auditeurs qui s'aventuraient à intervenir pour apporter une idée contraire étaient rectifiés ou rabroués par ces derniers.

Il ne s'agit nullement de nier l'effort de médiatisation notable du Printemps Noir accompli par Beur FM et ses équipes. La chaîne donne la parole aux différentes sensibilités kabyles mais non sans orienter le débat, comme cela est notamment le cas lors de la préparation de la marche du 5 janvier 2003 à Paris. Invité sur les ondes de la radio, le chanteur arabe Baaziz prend la parole pour dire en substance :

" A chaque fois, je suis frustré dans des plateaux comme ceux-là. Je ne veux pas qu'un kabyliste kabylo-kabyle… Cette affaire n'est pas kabyle, c'est une affaire de liberté d'expression. (…) C'est l'Algérie qui est en danger. C'est la démocratie qui est en danger. Que l'on arrête de parler de Bercy et de parler de traîtres. Il y avait 16 000 Algériens à Bercy. Il fallait qu'ils comprennent cette situation en Kabylie. (…) Il ne faut pas mépriser ces 16 000 Algériens. Ce ne sont pas des traîtres. Ils ne sont pas forcément au courant de l'affaire kabyle et d'Abrika. (…) Je lance un appel à mes frères. Ya elkhaoua, machi affaire ntâa el Qbail. (…) Adjiw kamel à la marche hadi, machi pour la Kabylie, mais pour l'Algérie."

 

Porté par Beur FM, Baaziz verse dans un négationnisme sans merci. Comme s'il était investi par une mission providentielle, il justifie sa participation à Bercy par le fait qu'il se devait de sensibiliser les Algériens à la question du Printemps Noir dont ceux-ci n'avaient pas connaissance. Jolie tour de passe-passe. Sauf à prendre les Kabyles pour des imbéciles, Baaziz ignore ou feint d'ignorer que la Kabylie a été à la une des médias algériens et internationaux des mois durant.

 

 

La sympathie de façade de Beur FM à l'égard des Kabyles ne saurait trahir le mépris et l'inimitié de ses animateurs arabes. Ces derniers présentent des émissions généralistes de grande audience en langue française (Mehdina, Couscoussière, Caverne d'Ali Baba…). Mais, la plupart du temps, lorsqu'ils ouvrent l'antenne aux auditeurs, ils s'emploient à s'exprimer en arabe en les accueillant systématiquement par la formule consacrée " salamou alaykoum ", avant de continuer à formuler des phrases entières en arabe : " Wech klitou lyoum…, ndirou la hala, wech wech, etc."

Souvent, il arrive que ces mêmes animateurs aient affaire à des Kabyles qui ne comprennent mot de ce qui leur est dit. Tel est le cas de Nadia. Elle s'est vue rectifier par l'animateur Kim pour avoir tout bonnement dit qu'elle ne comprenait pas l'arabe du fait qu'elle était kabyle. Emporté, Kim affime : "Mais tu es algérienne ! " Quelques semaines plus tard, c'est au tour de Tin-Hinan de subir le même traitement. Kim demande à son interlocutrice l'origine de son prénom. Cette dernière répond naïvement : " Je suis Kabyle ". Ne l'entendant pas de cette oreille-là, l'animateur enchaîne : " Mais tu es algérienne, quand même ! " La voix de Tin-Hinan disparaît subitement de l'antenne, tandis que l'animateur s'empresse de dire : " Nous avons perdu notre auditrice ". Vexés, des auditeurs kabyles réagissent en inondant d'appels le standard de Beur FM.

Hakim est l'un d'entre eux. Chanceux, il arrive à obtenir l'antenne et à plaider en faveur de Tin-Hinan en disant que son prénom était bien antérieur à la présence arabe en Algérie. Sans aucun scrupule, Kim coupe au nez de l'auditeur en affirmant : " Mettons cela sur le compte de la censure".

Les anecdotes de la sorte où les intervenants kabyles sont malmenés sur les ondes de Beur FM sont innombrables. Chaque kabyle pourra nous en citer des dizaines, y compris certains animateurs de la radio.

 

 

Le 26 mars 2003, Saïd Yahia Cherif profite de son émission « Sucré Salé » pour annoncer qu'il organise un gala à la salle Pablo Neruda de Bobigny les 1e et 2 avril. A cette occasion, le chroniqueur fait savoir que des auditeurs se sont plaints de l'absence des artistes arabes dans ce gala. Des propos approuvés par l'animateur Youcef qui accompagne Saïd Yahia Cherif dans son émission. D'une voix menaçante à peine déguisée, il interpelle Saïd Yahia : "Pourquoi votre concert exclut-il les chanteurs arabes comme Cheb Abdou, Cheb Khalas, Chabba Djennat ? Ce sont eux qui cartonnent en ce moment!" Pour se dédouaner, Saïd Yahia Cherif précise que le chanteur Bazziz était programmé pour inaugurer, en vedette, son gala.

 

 

L'antikabylisme enregistré sur les ondes de Beur FM est-il le fait isolé de quelques animateurs arabes malveillants ou bien participe-t-il d'une politique globale élaborée par la direction de la radio ? Il y a lieu de se poser la question.

En mars-avril 2003, Beur FM lance simultanément sur le marché deux compilations musicales intitulées "Algérie 1" dans laquelle ne figurent que des artistes arabes et "Algérie 2" dans laquelle ne figurent que des artistes kabyles.

Le choix de cette numérotation est-il innocent ou relève-t-il d'une perception ségrégationniste qui relèguerait la culture kabyle au second plan ? Les chanteuses et les chanteurs kabyles seraient-ils des artistes de seconde zone comme il existait jadis des Algériens du second collège ?

L'ostracisme ethnique de Beur FM n'échappe plus à personne, même pas à la presse algérienne indépendante.

Dans un article paru dans la Dépêche de Kabylie le 28 décembre 2002, la journaliste Djamila Amgoud note avec lucidité que, sur les ondes de Beur FM, le kabyle est relégué "à une dimension folklorique - exprimée essentiellement par la chanson - lui déniant son rôle de langue de communication et de culture vivante, dans un pays -la France - où la production intellectuelle, dans plusieurs domaines en cette langue (sans oublier son enseignement à tous les niveaux) est une réalité incontournable ".

 

 

 

_Aux sources de l'antikabylisme de Beur FM.

 Loin d'être une affaire de circonstance cette hostilité sournoise à l'égard de tout ce qui est kabyle est, en fait, une histoire de longue date. Les Kabyles ont en mémoire le concert dit "Printemps des libertés", organisé et soutenu par Beur FM pour célébrer le Printemps berbère de l'année 2000. La radio médiatise l'événement dès l'automne 1999 en lançant des spots publicitaires aguichants, qui annoncent la participation d'une pléiade d'artistes algériens dont - en vedette - cheb Khaled.

En charge d'une émission hebdomadaire diffusée le dimanche après-midi, Saïd Yahia Cherif se fait le promoteur du concert. Il appelle les Kabyles à venir en nombre. A cette occasion, il invite des artistes arabes pour vanter les mérites du "Printemps des libertés" en lui donnant un cachet algérien dépourvue de toute spécificité kabyle. Il n'hésite pas à ouvrir l'antenne aux auditeurs. Irrités, nombreux sont les Kabyles qui appellent pour demander à Saïd Yahia Cherif quel Printemps célèbre-t-on véritablement, le Printemps des libertés ou le "Printemps berbère" de

1980 qui a vu plusieurs centaines de milliers de Kabyles sortir dans la rue pour affirmer publiquement leur identité.

En outre, ils s'interrogent sur la nature de la participation d'artistes arabes, craignant un détournement de ce qui a été jusque-là une commémoration authentiquement kabyle. Les appels des auditeurs kabyles se suivent et se ressemblent. Toujours cette lancinante question : «  Que fait le roi du raï dans un gala à la mémoire du Printemps berbère?" Face à cette question Saïd Yahia Cherif reste de marbre.

Il n'a qu'un seul recours. Couper au nez des auditeurs, arguant que cette question n'était pas l'objet du débat.

 

 

Mohand de Paris et l'un de ces malheureux kabyles qui fit les frais du comportement de cette radio. Quelques jours avant le concert, il réussit à obtenir Saïd Yahia Chérif qui accueillait, ce jour-là, le cinéaste kabyle Abderrahmane Bouguermouh. Après avoir posé une question à ce dernier sur le devenir du cinéma kabyle, Mohand interpelle Saïd Yahia Cherif en lui disant que les Kabyles ne devaient pas se rendre au concert du "Printemps des libertés", précisant qu'il s'agissait d'une mascarade destinée à célébrer la "concorde civile" du président Abdelaziz Bouteflika nouvellement élu.

Après un moment de confusion, Saïd Yahia Cherif réagit violemment. Il interrompt la conversation avec l'auditeur qu'il qualifie "d'intégriste". Depuis ce jour, l'animateur de Beur FM  filtrera sévèrement ses ondes aux auditeurs de peur que de tels incidents ne se reproduisent et qu'ils entachent la crédibilité du "Printemps des libertés". La censure à l'égard des Kabyles devient ainsi de mise.

 

 

Toutes ces péripéties interviennent dans un contexte particulièrement délicat où les Kabyles accusent le coup de l'assassinat du chanteur kabyle engagé Lounès Matoub.

Traversée par les divers courants politiques kabyles, Beur FM a été particulièrement marquée par la controverse autour de l'assassinat de l'artiste. Acquise aux thèses de certains d'entre eux, la radio s'efforce du bout des lèvres de disculper le régime algérien de toute implication dans cette affaire alors que toute la Kabylie taxe unanimement celui-ci de "pouvoir assassin". Cette ligne éditoriale est mise à nu tout au long du contexte consécutif au 25 juin 1998, date de l'assassinat du chanteur.

Si la collusion entre Alger et Beur FM n'est pas clairement établie, en revanche un certain nombre d'indices plaident en ce sens. Il n'échappera à personne que depuis quelques années la radio maghrébine travaille en partenariat avec la radio d'Etat algérienne Alger Chaîne III dont elle diffuse un bulletin d'information quotidien. Etrange démarche pour une radio française qui dit œuvrer en faveur de l'intégration des "Beurs". La beuritude de Beur FM serait-elle donc un concept made in Alger? Il y a lieu de penser que l'intégration tant défendue par la radio maghrébine n'est qu'un fonds de commerce sans autre objectif.

Comment rester indifférent à la ligne arabo-musulmane générale de cette radio, qui s'emploie à défendre vaille que vaille la cause palestinienne au détriment des minorités opprimées dans le monde arabe ?

Comment rester indifférent aux émissions de voyance des hadjs Mamba et autres marabouts en tout genre qui, moyennant quelques sommes coquettes, maintiennent les auditeurs dans une ignorance d'un autre âge ?

Si les émissions de magie prêtent à sourire, il n'en est rien des émissions à connotation religieuse en langue arabe qui inondent la radio, tout particulièrement en période de fêtes.

A l'instar des radios d'obédience musulmane, Beur FM diffuse tout au long du mois de ramadan les versets coraniques appelant à la rupture du jeûne.

Que reste-t-il de l'intégration et de laïcité avec tout cela ? De simples slogans vides de sens à destination des pouvoirs publics français ?

Une chose est maintenant sûre. Beur FM est à des années lumières de l'esprit qui est à l'origine de son ancêtre Radio Beur. Lancée par des Kabyles au début des années 1980, dans la foulée de la loi relative aux radios libres, elle promettait de s'adresser  à l'ensemble des minorités composant la mosaïque de la France.

Donnant dans un majoritarisme arabo-musulman renforcé au fil du temps, Radio Beur a fini par se détourner de ses principes fondateurs.

Les Kabyles font aujourd'hui les frais de ce complexe. Il est triste que leur sort à Beur FM s'achève ainsi.

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans nationalistes-kabyles

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